Ne dites pas à ma mère que je crée de la valeur, elle croit que je suis juriste

Ne dites pas à ma mère que je crée de la valeur, elle croit que je suis juriste

Publié le : 30/06/2023 30 juin juin 06 2023

Le juriste, un créateur de valeur en entreprise ? Vraiment ? Oui.
Avec un titre légèrement provocateur (!) et qui prête à sourire, le sujet de cette conférence SEPTEO lors des Rendez-vous des Transformations du Droit 2022 est on ne peut plus sérieux…


Comment aider les équipes juridiques à mettre en lumière et valoriser leur travail au quotidien ? Quelles méthodes, quels processus, quels outils pour tordre le cou aux idées reçues, encore trop largement répandues, selon lesquelles le département juridique est un centre de coût, et les juristes, des empêcheurs de tourner en rond, qui ne comprennent rien au business… ? De quoi nous inviter à examiner (et changer !) ce qui empêche aujourd'hui les juristes de créer davantage de valeur, de la démontrer ou de la mettre en avant.

Quels sont les types de performance à mesurer ? Comment définir des indicateurs de performance ? Quelles différences avec les indicateurs d’activité ? Comment mesurer la création de valeur au-delà de la valeur financière ? Quels seraient les autres types de valeur qu'on pourrait considérer ? Autant de questions désormais fréquentes au sein des équipes juridiques ; un casse-tête pour le directeur ou la directrice juridique. Plusieurs idées directrices à retenir pour avancer sur le sujet.

Pas de performance de la direction juridique décorrélée de celle de l'entreprise

Il y a plusieurs façons d’envisager la création de valeur, mais il est certain que ce n'est pas uniquement « je vais aider à faire du chiffre d'affaires » ou « je vais aider à être plus rentable ». Pour simplifier, il y a tout ce qui est financier/extra financier, tangible/intangible sur les sujets de réputation, de marque, de risques, de propriété intellectuelle, propriété industrielle, etc. Il faut partir de la stratégie de l'entreprise et voir, par rapport à elle, quelle est l'offre juridique qui va permettre à l'entreprise de déployer sa chaîne de valeur. Avec une question que les juristes peuvent/doivent se poser : « comment mon entreprise crée-t-elle de la valeur ? ».

Différence entre les indicateurs de performance et les indicateurs d’activité

On entend et on lit encore très souvent, des personnes expliquant avoir établi des indicateurs de performance, en évoquant combien de contrats, combien de contentieux, etc. Ce ne sont pas du tout des indicateurs de performance !

Tout ce qui touche à ces 3 sujets importants : qualité/quantité, coûts et délais sont des indicateurs d'activité. Ils donnent une mesure, mais cela ne dit pas grand-chose de la contribution à la performance globale d'une entreprise… Pour prendre une métaphore sportive : mettez sur un terrain de football quelqu'un qui court le 100 mètres en 9,9 secondes. C’est très bien, mais, pour autant, quelle est sa contribution à la performance de l'équipe ? Elle peut être proche de zéro…

Les indicateurs de performance, eux, sont intimement lié à la stratégie et à la performance de l'entreprise. Il faut donc définir la chaîne de valeur de l'entreprise et voir, sur tous les éléments de cette chaîne de valeur, où l’équipe juridique apporte un support, un soutien, une valeur ajoutée, une réflexion stratégique, un point de vue.

Pas de modèle absolu sur la création de valeur

Il est certain qu’il n'y a pas de modèle absolu qu'on pourrait utiliser dans toutes les directions juridiques, pour mesurer la valeur que les juristes contribuent à créer au profit de l'entreprise. Cela étant, la contribution d'une direction juridique va être principalement une contribution à la préservation et au développement de son capital immatériel de l’entreprise.

Pour appréhender le sujet de manière pragmatique, opérationnelle, une approche intéressante et inspirante est celle du « thésaurus-Bercy » . Constitutif du référentiel français d'évaluation, sur des critères financiers et extra-financiers, du capital immatériel des entreprises françaises, il est composé de 12 classes d’actifs. Il y a 12 classes d'actifs : deux d’entre elles concernent les actifs matériels (actifs matériels immobilisés et actifs à court terme financiers ou équivalents). Les dix autres classes sont immatérielles :

  • les actionnaires,
  • les ressources naturelles,
  • les équipes,
  • l'organisation,
  • le système d'information,
  • les connaissances,
  • les marques,
  • les fournisseurs et partenaires,
  • les clients et
  • la société civile.

Sur chaque classe, on applique des éléments de valorisation ou d'évaluation financière, et puis des éléments d'évaluation extra-financière (les ESG). Il y a ensuite des systèmes de rating, allant jusqu'au AAA en fonction de la qualité de l'actif en question.

L’utilisation de ce thésaurus n'est peut-être pas à la portée de toutes les directions juridiques. Les PME n’en n’ont peut-être pas l’utilité. Mais pour de grosses structures, qui entrent aujourd’hui dans ces logiques – nécessaires – d'évaluation du capital immatériel, on mesure l’intérêt de réfléchir aux « contrats internes » à mettre en place entre la direction juridique et les différentes unités de l'entreprise. Cela permet, sur chaque classe d'actifs, de mesurer (avec un système de notation), la manière dont la direction juridique contribue à éviter la perte de valeur de cette classe d'actifs. De quoi ancrer l'impact d'une direction juridique à la création de valeur, directement dans un discours de notation financière et extra-financière, qui parle à tout le monde dans l'entreprise et pas seulement aux juristes !

Ne pas avoir de syndrome de l'imposteur dans la création de valeur

De nombreux exemples illustrent la nécessité de mesurer au sein des directions juridiques, pour pouvoir valoriser auprès de sa direction générale, ce que font l'ensemble des collaborateurs et collaboratrices de sa direction juridique. Lorsque l’on digitalise un processus contractuel ou que l’on fait du self-service, il faut impérativement mesurer les difficultés que l'on a et ce que l’on fait à deux moments : au début du projet de digitalisation et après la transformation (puis en continu par la suite).

Il faut non seulement dire ce que l’on fait, mais aussi le démontrer. C’est là, avec les indicateurs, qu’en tant que juriste, il est possible de démontrer et de communiquer. Mais il faut alors le faire avec le langage non pas juridique, mais business. Le langage business, ce n’est pas 20 pages de textes ! Ce sont des camemberts, des histogrammes, des statistiques, des pourcentages, des ratios. Le problème n’est pas celui de ne pas le faire (les directions juridiques font ces mesures), mais de ne pas le dire, de ne pas communiquer dessus. Il ne faut pas avoir de syndrome de l'imposteur dans la création de valeur : les juristes créent de la valeur !

Digitaliser amène la capacité à mesurer

La digitalisation des directions juridiques contribue d’une part à la réflexion sur la mesure de la valeur et, d’autre part, au positionnement des juristes dans le processus de création de valeur dans l’entreprise. En amont du travail avec l'éditeur autour d'un projet de digitalisation, il est fréquent de ne pas disposer d'indicateurs d'activité. Il y a généralement une idée des volumes, de qui fait quoi, de là où on passe du temps, mais pas de chiffres. En amenant de la digitalisation au niveau de la direction juridique, on amène une capacité à mesurer.

La démarche de digitalisation permet dans le même temps de s’interroger sur ce que l’on va considérer comme étant "performance" : que cherche-t-on à améliorer ? Est-ce le délai de traitement, le volume, la qualité ? En pratique, la "simple" mise en place d’un projet de transformation numérique permet d’apporter des réponses très concrètes au niveau de la direction juridique.

Avec une cerise sur le gâteau si l’on peut dire : avec la mise à disposition des ressources self-service comme des modèles ou un guichet pour contacter la direction juridique afin de démarrer un workflow, ce sont aussi des opérationnels contents, qui comprennent mieux ce que fait la direction juridique et comprennent que ses membres ne sont pas seulement des empêcheurs de tourner en rond !

Intervenants de la conférence (par ordre d’intervention) :

  • Olivier CHADUTEAU, Partner - Head of PwC Legal Business Solutions, PwC France
  • Christophe ROQUILLY, Full Professor of Law, Director of EDHEC Augmented Law Institute, Honorary Dean of Faculty, EDHEC Business School
  • Pierre-Michel MOTTEAU, Avocat, Co-fondateur & COO, Legal Pilot
  • Animation : Carla HEGLY-CHUNG , Directrice commerciale, Septeo Legal Suite

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